PKO 15.07.2012
Dimanche 15 juillet 2012 – XVème Dimanche du Temps ordinaire – Année B
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°36/2012
HUMEURS
À l’heure où chez nous les jeunes nous intéressent pour l’argent qu’ils peuvent nous rapporter… d’autres se posent de vraies questions !
« Face à l’ivresse de jeunes ou de moins jeunes sur la voie publique, la prévention ne suffit pas. Les parades nécessitent l’implication des familles ainsi que la fermeté et l’imagination des pouvoirs publics. Les personnes qui se promènent ivres en ville posent des problèmes aux autres et à elles-mêmes. Le phénomène se développe depuis quelques années et prend plusieurs formes : alcoolisation massive avant de participer à une fête ou d’assister à un concert, rassemblements en petits ou grands groupes avec bouteilles d’alcool, dans les rues ou les parcs. “Cela se situe dans un contexte de banalisation de l’alcool chez les jeunes, parfois dès treize ou quatorze ans”, estime le Dr Alexandre Feltz, vice-président de la Communauté urbaine… Depuis le début de l’année, les violences infligées aux autres par des personnes en état d’ivresse ont augmenté à Strasbourg. Des dégradations de biens et des vols sont aussi commis sur la voie publique par des personnes ivres. Autre effet induit : le tapage nocturne. “La police municipale passe beaucoup de son temps à Strasbourg sur ces questions. Elle a maintenant la possibilité de verbaliser immédiatement (le tapage nocturne) par timbre-amende, ce qui a été fait à 70 reprises depuis mai dernier”. Les personnes ivres sont aussi dangereuses pour elles-mêmes : il y a eu plusieurs cas de noyades dans différentes villes de France, dont Bordeaux, depuis le début de l’année… En réaction aux rassemblements alcoolisés qui ont eu lieu jusqu’en 2010 à l’Orangerie et place de la République, le maire de Strasbourg a pris des arrêtés interdisant la consommation d’alcool en réunion dans ces secteurs pendant la période estivale. La Ville envisage de prendre l’an prochain d’autres arrêtés de ce type, pour d’autres zones de la ville. “Même si l’essentiel se passe hors des bars”, relève l’adjoint Olivier Bitz, des contrôles de police nationale ciblent actuellement les débits de boissons et leurs environs, les samedis soirs. Depuis mai dernier, 83 contrôles ont été réalisés lors de sept opérations… » (Dernières Nouvelles d’Alsace – 13/07/2012).
Nous, ici, nous avons les même problèmes mais nous travaillons à l’opposé… on favorise, on encourage !!! C’est normal nous sommes meilleurs et plus intelligents !
En marge de l’actualité
Les Sœurs Missionnaires de Notre Dame des Anges nous quittent
Une atmosphère mêlée de joie et de nostalgie planait sur l'assemblée des quelques 600 amis et anciens élèves venus ce mardi 10 juillet à St Joseph de Faa'a participer à une messe d'action de grâce pour les 61 ans de travail missionnaires des Sœurs de NDA. En effet les Sœurs quittent définitivement la Polynésie.
Alors qu'elles venaient d'être expulsées de Chine, quatre Sœurs Missionnaires de Notre-Dame des Anges arrivaient en novembre 1950, à la demande de Mgr Mazé. En février 1951 elles seront autorisées à ouvrir une école dans le district de Faa'a, prémisses de ce qui deviendra le « complexe » école-collège NDA que nous connaissons aujourd'hui.
Des quatre fondatrices il ne reste que Sœur Jeannine Rosa (à l'époque : Sr Sainte Yolande), elle s'est retirée en novembre dernier à Sherbrooke. Elles avaient un objectif principal : former les futur(e)s responsables de l'Église locale. Très vite, grâce à une organisation rigoureuse, elles ont pris appui sur des laïcs capables de démultiplier leur action missionnaire et évangélisatrice.
Leur champ d'apostolat est large : fondation de la Légion de Marie, lancement des « Cursillo » (ce qui deviendra le Te Vai Ora), animation et soutien de groupes de jeunes, premier groupe charismatique à Ste Thérèse (Taunoa) puis à Faa'a, participation au renouvellement des méthodes catéchétiques, aide aux parents grâce aux Force Vitale Humaines, suivi des jeunes filles et des femmes en difficulté (par le Pou Utuafare)...
Mgr Mazé souhaite fonder une congrégation religieuse locale : les Filles de Jésus Sauveur; en 1962, tout naturellement il se tourne vers les Sœurs MNDA pour former les premières religieuses.
Elles ouvrent une nouvelle école à Taravao, qui, au fil du temps, deviendra l'ensemble école-collège-lycée Sacré-Cœur. En 1965 elles prennent la succession des Sœurs de Cluny à l'école Ste Thérèse.
Merci à vous toutes, chères Sœurs, pour votre dévouement désintéressé. Vous avez semé, et maintenant des prêtres, des diacres, des religieuses, des laïcs ont pris votre relève.
Clin d'œil du Seigneur : dans l'Évangile de la messe d'action de grâce Jésus disait ceci : « Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson ». (Mt 9, 38). À nous, donc, de suivre votre exemple et de garantir la continuité des œuvres que vous avez fondées.
Dominique SOUPÉ
Chancelier
L’Église au cœur de la société française
Messe pour la France – Cathédrale de Strasbourg – 8 juillet 2012
Portes drapeaux, représentants de l’État, des corps constitués et du corps diplomatique, des institutions européenne et des collectivités alsaciennes se sont réunis à la Cathédrale dimanche 8 juillet. Cette célébration répond à une demande de l’article VII du Concordat de 1801 précisant : « qu’une prière soit assurée par les ministres du culte catholique à l’intention de la république française et de ses dirigeants ». Mgr Elchinger a donné à cette célébration une dimension profonde en invitant chaque année les fidèles à une réflexion sur un thème nouveau. Avec force et intuition, il a ainsi su interpeller sur des grandes questions de société invitant à les décrypter à la lumière des Évangiles. Voici l’homélie de son successeur, Mgr Grallet.
Chers frères et sœurs,
Prier pour la France est pour nous, croyants, un acte très important. Prier pour la France, c'est demander à Dieu d'éclairer ceux qui ont en charge le bien commun, et en particulier ceux qui exercent l'autorité. Prier pour la France est un acte croyant. C'est aussi un acte solidaire et fraternel. Nous ne saurions être de bons chrétiens si nous ne sommes pas, en même temps, de bons citoyens !
Aujourd'hui, en Alsace, tous les citoyens sont concernés, qu'ils soient français depuis peu ou depuis de nombreuses générations, qu'ils soient croyants ou incroyants, membres des cultes reconnus par le Concordat ou d'autres cultes récemment implantés sur notre sol. Tous, nous sommes attachés à notre Pays et soucieux de son unité. C'est pourquoi, en solidarité avec tous les priants des autres cultes et tous les autres citoyens, nous prions aujourd'hui pour que la France vive dans le droit et la justice, la fraternité et la cohésion sociale, la paix entre ses membres et entre les nations, le développement durable et le souci des générations futures...
Notre réflexion de ce jour portera sur deux points : d'une part l'Église et l'État, entre laïcité et solidarité, et d'autre part, dans un contexte de crise, quels repères pour notre société ?
I. L'Église et l'État, entre laïcité et solidarité
Durant ces dernières décennies, nous sommes entrés, en France, dans une période de laïcité apaisée. Après les années d'opposition entre l'Église et l'État, les antagonismes se sont considérablement réduits, laissant place à une confiance nouvelle et à des collaborations. L'Église catholique a intégré la laïcité républicaine. N'est-ce pas le Christ qui a déclaré : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ?
Cette séparation n'est plus opposition, ce serait stérile. Elle n'est pas non plus ignorance, ce serait injuste. Elle doit être respect du culte de chacun et souci du bien de tous.
Le philosophe Marcel GAUCHER confiait récemment : « La laïcité a gagné... Bien que non croyant et n'appartenant pas à l'Église Catholique, je considère que sa présence morale, intellectuelle et spirituelle est très importante... l'Église a vocation à exister sur un plan qui n'est pas celui du politique. Elle doit être force de proposition et de réflexion sur la Cité et sur les conditions dans lesquelles elle peut fonctionner au mieux » (3.12.10).
L'Église est donc dans la société. Elle en est une composante à part entière.
Cette reconnaissance de l'Église, nous la ressentons tout spécialement en Alsace. La singularité alsacienne du Droit local et du Concordat est saluée par tous comme bénéfique et constitutive de notre identité régionale.
Si la récente mise en cause du Concordat n'est plus de mise – merci de nous avoir entendus –, l'éventuelle inscription de la laïcité dans la Constitution française reste préoccupante : Ne va-t-on pas raidir et appauvrir les relations Église et État ? Il serait regrettable que quelques extrémismes religieux poussent à pénaliser des millions de croyants désormais bien intégrés dans la société française. Catholiques et autres croyants, nous souhaitons une « application apaisée et ouverte des lois et règlements qui définissent le pacte laïc de notre commune République » (Conseil permanent des Evêques). Nous en appelons donc à la sagesse des législateurs et à leur discernement des priorités.
Séparation de l'Église et de l'État, certes, mais aussi et fortement, solidarité des chrétiens avec tous leurs concitoyens pour porter avec eux les soucis de nos cités, de notre Pays et de notre humanité. Il y a 25 ans déjà, le Pape Jean-Paul II nous invitait à cette indispensable solidarité qui est « la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c'est-à-dire pour le bien de tous et de chacun, parce que tous nous sommes responsables de tous » (Sollicitudo Rei Socialis 1997).
II. Dans un contexte de crise,
quels repères pour notre société ?
La crise que nous traversons n'est pas qu'économique et financière, elle est aussi sociétale et spirituelle. Au printemps 2011, les évêques français du Conseil « Famille et Société » nous partageaient leurs préoccupations : « La crise couvait depuis longtemps. Elle s'est manifestée d'abord dans le domaine écologique. Puis les crises alimentaire, financière, économique, monétaire et sociale se sont succédé rapidement, révélant une crise de sens. Cette crise du sens profond de l'existence a été masquée par une confiance excessive dans l'économie libérale. Il est clair aujourd'hui que l'économie seule ne peut fournir les réponses adéquates à tous les problèmes de société ».
Il s'agit donc, non d'avoir plus, mais "d'être davantage", de développer l'homme dans toutes ses dimensions et dans son aptitude à mieux vivre avec autrui.
Pour aider à cette recherche d'un meilleur vivre ensemble, les évêques du Conseil Permanent, présidé par le Cardinal André Vingt-Trois, ont adressé un message aux Français, avant les élections. Ce message « Élections, un vote pour quelle société ? » a été diffusé en octobre 2011, c'est-à-dire bien avant l'échéance électorale elle-même, afin de ne pas intervenir « à chaud » dans les débats immédiats. Ce texte invitait à réfléchir sur tous les aspects de notre vie en société, aspects inséparables et complémentaires, afin d'offrir une vision cohérente de notre vie d'aujourd'hui, à travers « treize éléments de discernement ». De ceux-ci, je souhaite relever cinq priorités :
1. Affirmer la dignité de toute personne humaine
C'est quand elle est faible, malade ou isolée, que la personne est menacée. D'un bout à l'autre de la chaîne de la vie, la personne est à protéger. Ni la petitesse, ni la maladie, ni le grand âge ne sauraient amoindrir notre respect des personnes, ni notre amour de la vie. À tout moment de son existence, chacun doit pouvoir croiser le regard d'autrui et partager avec lui attention et amitié. Indispensable est l'aide à toute personne handicapée ou à celle qui vit en grande précarité. Indispensable, le respect de toute personne isolée, différente, migrante, étrangère. Tous, nous sommes enfants de Dieu, tous, nous sommes frères les uns des autres.
2. Protéger la famille
La famille est le premier lieu de l'apprentissage de la vie, de la tendresse, de la foi, de la responsabilité, du vivre ensemble. Que de familles, hélas, sont éprouvées, en difficultés économiques, en rupture, en recomposition ! Il convient d'en tenir compte et de les aider, comme il faut aider les couples stables à tenir dans la durée.
Lorsque Dieu créa l'être humain, il le créa « homme et femme », selon une complémentarité biologique et sociale. « La différence sexuelle de l'homme et de la femme est fondatrice et structurante de tout le devenir humain, rappelle notre Conseil Permanent. De plus, l'union de l'homme et de la femme scellée dans le mariage est le moyen le plus simple et le plus efficace d'accompagner le renouvellement des générations et d'accueillir les enfants pour les introduire en ce monde... À travers les enfants que porte et éduque la famille, c'est l'avenir et la stabilité de la société qui sont en jeu ! »
Veillons, dans les débats dans lesquels nous entrons et à travers les mots que nous utilisons, à ne pas brouiller les repères fondamentaux. L'égalité légitime des droits n'est pas l'uniformisation et l'indifférenciation des situations. L'expérience de la différence et de la complémentarité de l'autre est structurante pour chacun. Il n'y a pas de fécondité sans altérité et sans stabilité.
3. Consolider l'Europe.
À Strasbourg, nous ne pouvons que souhaiter de tous nos vœux une Europe plus forte, plus solidaire, plus proche de tous, plus spirituelle. L'Europe serait-elle advenue si des pionniers visionnaires, dont beaucoup étaient chrétiens, ne l'avaient rêvée, fondée, animée ? « Le projet européen, à son origine, a représenté un magnifique effort pour assumer l'histoire d'un continent en termes de pardon et de promesse... Aujourd'hui, l'Union Européenne agit trop souvent comme une instance administrative et même bureaucratique. Le marché unique est un beau projet dans la mesure où il est sous-tendu par une vision spirituelle de l'homme. Les chrétiens désirent que l'Europe, loin de réduire l'homme à n'être qu'un consommateur sans cesse insatisfait et soucieux de ses droits, permette à ses habitants d'agir de façon responsable, avec les ressources spirituelles, morales, économiques et politiques qui sont les leurs, pour le bien de l'ensemble du monde ».
Tel est le projet européen qu'il nous faut approfondir et relancer !
4. Promouvoir le bien commun.
L'individualisme croissant de nos comportements a mis gravement en péril notre vie sociale, sa cohésion et ses indispensables organismes de protection et de solidarité. Cet individualisme a engendré le chacun pour soi, la violence et l'inégalité de nos échanges, l'injustice et la perte du don gratuit. Une consommation sans régulation menace notre avenir économique et écologique. Il est donc urgent de nous décentrer de nos seuls intérêts particuliers et partisans, de nous mobiliser tous en faveur du bien commun, et d'assumer ensemble, non seulement nos droits, mais aussi nos devoirs.
5. Œuvrer à une écologie de l'homme.
Il ne saurait y avoir de Bien Commun, sans une prise en compte de toutes les dimensions de la personne humaine, dimension économique, dimension productive, corporelle et spirituelle, individuelle et collective, dimension environnementale. En définitive, il s'agit bien d'une écologie de l'homme comme le fait remarquer le pape Benoît XVI.
« L'Église doit préserver non seulement la terre, l'eau et l'air comme dons de la Création appartenant à tous, dit le Pape, elle doit aussi surtout protéger l'homme de sa propre destruction. Une sorte d'écologie de l'homme, comprise de manière juste, est nécessaire... Le livre de la nature est unique et indivisible, qu'il s'agisse de l'environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l'environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres... Quand “l'écologie humaine” est respectée dans la société, l'écologie proprement dite en tire aussi avantage ! », conclut le Pape (Caritas in Veritate, 51)
Jardiniers de la terre, soyons aussi les jardiniers du cœur de l'Homme !
+ Jean-Pierre GRALLET
Archevêque de Strasbourg
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Il ne suffit pas de s’indigner
Pour le respect de la vie humaine de son commencement à sa fin
« Devant les questions graves posées face au commencement et à la fin de la vie humaine, il ne suffit pas de s'indigner et de crier », fait observer Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême dans cette réflexion intitulée « Pour le respect de la vie humaine de son commencement à sa fin » publiée sur le site Internet de l’Eglise catholique en France.
Face aux questions graves posées face au commencement et à la fin de la vie humaine, il ne suffit pas de s'indigner et de crier.
Dire « non à l'avortement, non à l'euthanasie » est légitime, mais n'est pas suffisant. Il faut aussi pouvoir rendre compte de notre indignation et de notre souffrance face à des attitudes ou à des législations qui, en dernière instance, ne respectent pas la vie humaine et la dignité des personnes.
Il faut donner des raisons du combat pacifique que nous menons dans ces domaines si sensibles.
1- Ce combat pour le respect de toute vie humaine est indivisible. Il vaut pour l'embryon dans le ventre de sa mère et pour la personne âgée ou malade en fin de vie, mais il vaut tout autant pour des hommes et des femmes que l'on manipule comme des objets en fonction des impératifs exclusifs de la rentabilité financière ou technique.
2- La vie humaine, toute vie humaine, porte en elle une sorte de transcendance concrète. Elle est constituée par des éléments biologiques, mais elle ne se réduit pas à ces éléments : elle est porteuse et révélatrice « d'un être d'esprit », d'une réalité spirituelle qui nous dépasse. Pour comprendre ce phénomène, il suffit d'être témoin d'une naissance et de voir une femme devenir mère, un homme devenir père, en prenant dans ses bras l'enfant qui vient de naître. Et il suffit aussi d'apercevoir, sur le visage d'une personne apparemment inconsciente, une larme couler, un sourire s'esquisser.
La vie humaine, toute vie humaine, porte en elle un mystère, non pas une énigme à déchiffrer, mais un mystère, c'est-à-dire une réalité non mesurable qui se révèle à ceux qui veulent bien regarder et voir au-delà des apparences immédiates.
3- L'homme de la modernité scientifique et technique doit-il se considérer comme le maître du monde ? Et doit-il recourir à des lois nouvelles pour justifier cette maîtrise toujours plus grande ?
Ce qui est en jeu alors, ce ne sont pas seulement des options politiques, liées à des échéances électorales. C'est la conception même que nous nous faisons de notre humanité commune. Sommes-nous capables de consentir à notre fragilité constitutive ? Sommes-nous décidés à ne pas appliquer les règles de notre société marchande à ce qui constitue notre dignité humaine ?
Le professeur Jean BERNARD, qui fut membre de l'Académie française et qui est enterré en Charente, dans un livre qui s'intitulait « L'homme changé par l'homme », s'interrogeait déjà, en 1976, sur les progrès de la génétique et de la neurologie. Les questions des scientifiques ne sont pas différentes de celles des hommes de foi comme Jean VANIER, quand il constate : « Nous naissons fragiles. Nous mourons fragiles. Acceptons-nous notre fragilité ? » Et qu'il pose aussi cette question décisive : « Allons-nous supprimer ceux qui nous gênent parce qu'ils ne sont pas conformes aux normes de notre société de performance ? »
4- Ces questions sont immenses. Elles exigent des confrontations et des débats raisonnables. La déclaration récente de l'Académie catholique de France, dont je suis membre, avec des universitaires compétents dans le domaine du droit, de la médecine, de la biologie et de la philosophie, veut contribuer à ces débats, en soulignant la gravité des questions posées : « C'est pour des motifs puisés dans la raison et la sagesse que la société doit préserver, à même sa législation, le sens transcendant de la vie. C'est en effet devant un choix de civilisation que nous sommes placés ».
Mgr Claude DAGENS
Evêque d'Angoulême
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Anne-Marie JAVOUHEY et les Droits de l’Homme
Conférence du Père Georges AUDUC à Cluny, le 20 octobre 1995
Le 15 juillet est la date anniversaire du décès de la Bienheureuse Anne-Marie Javouhey. C’est à cette date que les Sœurs de Saint Joseph de Cluny fête leur fondatrice. Pour nous associer à cette fête de « nos sœurs », nous vous proposons le texte d’une conférence ayant pour sujet les liens entre Anne-Marie Javouhey et les Droits de l’Homme.
Je voudrais évidemment pour la commodité, situer très rapidement Mère JAVOUHEY dans l’histoire bien sûr et dans son histoire à elle… et j’aimerais aussi pouvoir honorer le titre qui a été donné à cette conférence, puisque, il est question des Droits de l’Homme.
Mère Javouhey a passé toute sa vie à servir les autres, quand on parle des Droits de l’Homme, il y a une panoplie extrêmement vaste ! Vous verrez que, de parti pris, je n’ai saisi que quelques aspects de son service de l’homme, je les énumérerai tout à l’heure. Un petit rappel historique en introduction.
Comme chacun sait, elle est née le 10 novembre 1779. Puis-je rappeler au passage que c’était, en France, le règne de Louis XVI. Originaire de la Côte d’Or, d’une famille nombreuse, chrétienne et donc comme tout un chacun, frappée par les événements qui ont suivi à partir de 1789. Ses biographes disent à l’envie que pendant la période révolutionnaire elle a eu une vie courageuse et en particulier elle ne s’est pas contentée de cacher les prêtres réfractaires, elle a également assuré de la catéchèse.
Mais c’est en 1789, que précisément le 11 novembre, anniversaire de ses 19 ans, que d’une manière très solennelle, bien que dans le cadre familial, elle s’est consacrée à Dieu. En fait elle n’a prononcée ses vœux qu’en 1807, dans l’église St Pierre de Chalon sur Saône. Mais on peut dater de ses 19 ans cette consécration pleine et entière, d’ailleurs sa correspondance, en fait foi. Je passe sur ses premières années de tâtonnements, elle avait la vocation religieuse ; elle ne savait pas très bien comment elle se situerait. À l’époque, elle ne pensait pas fonder une congrégation et puis assez rapidement, elle s’est rendu compte, qu’il y avait pour elle un appel de Dieu assez particulier, qui s’est concrétisé au fil de sa vie.
On pourrait d’ailleurs en résumer quelque peu les étapes : vers 1805-1807, en Saône et Loire, Châlon avec l’éducation des plus pauvres. Le premier jet, je dirais de ses règles de vie, datent à peu près de cette époque, en tout cas, celui permet de recevoir une approbation officielle de la part de l’Empereur Napoléon 1er qui signe à la fin de l’année 1806 un décret qui va permettre à une congrégation naissante : les Sœurs de St Joseph qui deviendront « de Cluny » à partir de 1812, d’exister.
Les premières armes de Mère Javouhey sont donc très nettement sur le plan éducatif où elle va affirmer son originalité. Aujourd’hui, les méthodes actives sont depuis longtemps à la mode, mais il faut reconnaître qu’au début du 19ème siècle tel n’est pas le cas ! Et en particulier le génie de Mère Javouhey c’est d’emprunter ailleurs, en particulier aux Anglais des méthodes d’éducation qui permettent aux plus avancés dans les études d’aider les plus faibles et de permettre une certaine dynamique du groupe à l’intérieur des classes. Et bien entendu les succès arrivent et Mère Javouhey en recueille les fruits, d’autant plus qu’elle est montée, comme on dit, à Paris, et qu’elle a déjà créé un petit établissement dans la capitale. Mais, l’intérêt aussi c’est que les officiels ont l’œil sur cette œuvre naissante et que dès 1816 on va lui faire un certain nombre de propositions.
Je crois qu’on peut dater de cette époque l’événement clé qui va la déterminer à prendre la route des Missions puisqu’on lui parle de l’Ile Bourbon, La Réunion actuelle, et on lui demande des Sœurs ! À cette époque, la congrégation est balbutiante ! Il y a un certain nombre de vocations plus ou moins bien assurées. Mère Javouhey n’hésite quand même pas à envoyer pratiquement le tiers de son effectif (elles sont quinze à l’époque, la Supérieure a 22 ans), jusqu’à l’Ile Bourbon. N’oubliez pas aussi que c’est l’époque de la navigation à vapeur et qu’il faut largement cinq mois pour effectuer la distance entre le France et l’Ile Bourbon, ce qui veut dire, que lorsqu’on correspond, pratiquement, il s’écoule presque un an entre le moment où une demande arrive et où la réponse revient. Cela vous donne un peu la mesure des difficultés ! C’est au creux de ces difficultés que va s’affirmer la vocation missionnaire de Mère Javouhey et de son Institut.
Donc, dès 1816, un appel lui est lancé qui va retentir en elle, car quand elle était jeune fille et qu’elle faisait un essai de vie religieuse à Besançon, elle a eu une espèce de vision où elle se trouvait au milieu de noirs. Elle s’est donc à l’époque sentie appelée à les servir. Déjà elle les sert par l’intermédiaire d’un certain nombre de Sœurs et puis très rapidement les fondations vont s’enchaîner en particulier avec l’Afrique, le Sénégal où Mère Javouhey ira elle-même dès 1822.
Elle va passer deux ans au Sénégal, elle va aller jusqu’en Sénégambie, en Sierra Leone ; elle reviendra en France et elle va se voir de plus en plus sollicitée par les pouvoirs publics, au fil des gouvernements successifs ; elle va être appelée à faire une fondation importante en Guyane, au lieu dit : MANA, qui est d’abord une entreprise de colonisation, de mise en valeur de territoires. Mais quand on dit de colonisation, Mère Javouhey, a sa manière de voir les choses et elle va payer de sa personne, puisqu’elle fait un premier séjour qui va durer cinq bonnes années. Elle reviendra régler un certain nombre de questions et repartir, toujours à la demande du Gouvernement français pour s’occuper de l’émancipation des Noirs. J’en parlerai longuement.
Retour en France en 1843. Ella va mourir en 1851, à l’âge de 72 ans. Je remarque au passage, que si Mère Javouhey est née sous le règne de Louis XVI, elle a quand même connu beaucoup de régimes politiques successifs. Elle a vécu la grande Révolution, dont elle a gardé un très mauvais souvenir ; elle a évidemment vécu le Consulat, l’Empire : Napoléon 1er, la Restauration avec Louis XVIII et Charles X et après la Révolution de 1830, la Monarchie de Juillet, la Révolution de 1848, la 2ème République et elle est morte peu avant une prise de pouvoir qui va déboucher sur le Second Empire par le Prince Louis Napoléon.
Donc une période de l’Histoire de France particulièrement importante. J’ajouterai aussi une période de l’Histoire de l’Église tout à fait importante et en particulier pour notre pays. Il faut, dire que la première moitié du 19ème siècle en particulier, est le lieu d’une efflorescence extraordinaire sur le plan religieux. Création de Congrégations extrêmement nombreuses, épopées missionnaires et également Missions de l’intérieur aux quelles vont participer un certain nombre de grands personnages. J’en cite simplement un pour mémoire, il est le contemporain de Mère Javouhey : Jean-Marie VIANNEY, le Saint Curé d’Ars.
Vous voyez c’est une période très remarquable. C’est le moment aussi où à Lyon va être créée par Pauline Jaricot, la Propagation de la Foi. Je ne veux pas me lancer dans une énumération mais en vous disant que sur cette époque on va trouver au moins quarante à cinquante personnes qui sont aujourd’hui béatifiées ou canonisées. Ces gens là sont des français, peut-être que le sang des martyrs de la Révolution porte des fruits et des fruits de sainteté évidente à ce moment là.
Voilà très rapidement esquissée, je dirais, la vie de Mère Javouhey à travers tout un temps où l’histoire de France se bouscule et s’accélère et où l’histoire de l’Église connaît des époques particulièrement riches. N’oublions pas que si Mère Javouhey naît au moment où Pie VI est Pape, il mourra à Valence en 1799. Lorsqu’elle meurt en 1851, on doit être sous le règne de Pie IX. Donc vous voyez, il y a là encore une période extrêmement importante. C’était un simple rappel.
Je voudrais maintenant entrer dans les faits, d’une façon un peu plus fouillée.
Alors comment faire pour parler des Droits de l’Homme ?
Il y avait donc un choix ! J’aurais pu prendre la tranche Mère Javouhey éducatrice et en particulier au début de sa vie où elle a fait la classe d’une manière assez longue et avec beaucoup de succès.
Mais je préfère prendre trois aspects : j’en traiterai deux longuement et un rapidement.
Le premier, c’est l’Afrique. Je crois qu’il est très important de voir comment dès 1822, présente sur le territoire africain, Mère Javouhey va faire un travail considérable de promotion et d’évangélisation et je signale que les deux mots vont ensemble et que, ils sont présents et dans sa tête et dans son cœur et sous sa plume, puisqu’elle écrit beaucoup et, grâce à Dieu, nous avons une correspondance assez fournie.
Le deuxième aspect qui va être beaucoup moins développé, mais il est intéressant, il s’agit du soin des malades. Vous me direz « banal » ! À l’époque énormément de congrégations religieuses soignaient les malades et depuis longtemps. On n’a pas attendu Mère Javouhey, mais il faut quand même signaler, qu’en plein 19ème siècle, elle a eu un double souci dans le monde des malades. D’abord celui des Aliénés et ensuite celui des Lépreux et c’étaient deux catégories de population particulièrement difficiles d’accès et il n’y avait pas tellement de monde pour désirer se mettre sur les rangs. Or à l’époque, on peut dire qu’elle est novatrice.
Et puis le troisième aspect, que je traiterai plus longuement, c’est son second séjour à MANA. Je dirai un petit mot du premier séjour, parce que çà éclaire un peu la lanterne pour le second séjour. Il faut savoir que le deuxième séjour de 1836 à 1843 a été caractérisé par le service des Esclaves conduits à la liberté. Il y a beaucoup de choses à dire à propos des Droits de l’Homme ! Alors j’aborde l’Afrique ! Vous devinez que je ne peux pas le faire sans lui donner beaucoup la parole à elle.
[…]
Je disais donc l’Afrique. Dès 1819 Mère Javouhey avait envoyé un petit groupe de Sœurs en Afrique, au Sénégal, à St Louis du Sénégal, l’Ile St louis. Il faut savoir aussi, qu’à l’époque, pratiquement c’est à la demande des autorités, des pouvoirs publics, que les religieuses, (rappelons que c’est une congrégation approuvée par l’État Français) sont sollicitées. C’est dans ce cadre là que le Gouverneur du Sénégal a fait appel. Mère Javouhey a envoyé à l’époque un tout petit groupe, mais elle avait désigné comme supérieure : Sœur Rosalie. Sœur Rosalie était la dernière de ses sœurs selon la chair, car il faut savoir que quatre des filles Javouhey sont devenues religieuses. Rosalie était la toute dernière et elle a succédé d’ailleurs en 1851 comme Supérieure Générale à la Fondatrice. Donc elle était toute jeune à l’époque, elle n’avait pas trente ans ! Sa sœur l’a envoyée pour assurer la fondation du Sénégal, de l’Ile St Louis, (le fleuve Sénégal fait le limite entre ce pays et la Mauritanie).
D’autre part, nous sommes évidemment en pays d’Islam, donc c’est dans cette pâte humaine où à l’époque, des personnes de religion musulmane et d’autres religions de là-bas cohabitent. C’est cette pâte humaine que la Congrégation va rejoindre. Et dans un but de soins, parce que ce sont des hôpitaux qu’il faut gérer, alors qu’ils sont à l’époque dans un état de pauvreté, de saleté assez effrayant. Il faut se replacer là encore dans le contexte.
Les Sœurs arrivent donc en 1819. On ne peut pas parler d’un accueil excellent ; elles sont plus ou moins bien reçues. On ne les attendait pas tellement. Elles ont peu de secours religieux, le prêtre qui est venu avec elles, sur le bateau, et auquel on avait donné une charge de Préfet apostolique c’est-à-dire de responsable de l’évangélisation du pays, s’est découragé très rapidement. Il est parti et non seulement il est parti, mais il a jeté ce qu’on appelle « l’interdit » sur le pays qu’il avait quitté. L’interdit c’était aussi être privé des Sacrements. C’était une façon de se comporter, vraiment peu missionnaire. Alors les Sœurs se sont trouvées au milieu de tout cela, des difficultés matérielles, des difficultés spirituelles. Elles ont eu du mal à s’acclimater aussi, parce que, quand on vient de France et qu’on arrive au Sénégal on est très surpris par tout ce qui se vit sous les Tropiques. C’était difficile. Et le début, a été tellement compliqué, que les Sœurs ont un peu crié « au secours ». Par ailleurs, il faut le dire, Mère Javouhey avait envie d’y aller, ça la démangeait et les Sœurs s’en étaient aperçues, à commencer par ses proches.
Alors il y avait évidemment les Sœurs restées en France, Mère Marie-Thérèse et puis Mère Marie-Joseph, il y avait aussi sa nièce : Sœur Clotilde, qui était toute jeune religieuse à l’époque et qui avait une dévotion extraordinaire à sa tante, la seule idée de voir sa tante s’en aller, la rendait un petit peu agitée. Mère Javouhey calcule son affaire et pratiquement elle s’en va en « catimini ».
Elle prend prétexte qu’elle accompagne, et c’est vrai, un groupe de Sœurs qui va aller dans diverses directions : il y en a pour La Réunion, il y en a pour les Antilles, il y en a aussi pour le Sénégal. Sœur Clotilde croit béatement que sa tante arpente le port de Rochefort-sur-Mer pour mettre les Sœurs dans le Bateau. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que sa tante est montée sur le bateau et que, elle est en train de voguer bravement vers le Sénégal.
Mère Javouhey n’a rien d’un ethnologue. C’est vraiment par souci missionnaire et puis parce que c’est une femme intelligente, profondément intelligente. C’est parce qu’elle se dit : « Si j’envoie des religieuses, dans ces pays éloignés, il me faut faire l’expérience que font les Sœurs. Je veux connaître, je veux savoir. Je ne veux pas les exposer n’importe comment » et donc elle fait déjà l’expérience du voyage. C’est l’époque de la Marine à voile et croyez moi ce n’est pas simple ! Elle est là, elle vit cette épreuve, elle la comprend de l’intérieur et surtout débarquant en Afrique, elle va pouvoir faire sa propre expérience et ce n’est pas une visite officielle.
Elle va arriver en Afrique le jour de la Saint Joseph, en 1822, elle repartira deux ans plus tard. Elle ne sera pas restée simplement à St Louis du Sénégal, elle aura été aussi à l’Ile de Gorée, en de Dakar. Elle aura parcouru le Sénégal, la Sénégambie et elle sera allée jusqu’en Sierra Leone, pour essayer de voir un peu, qu’elles pourraient être les possibilités de fondation pour les religieuses. Alors, chose très intéressante je vous l’ai dit tout à l’heure, les Sœurs sont appelées dans une perspective de service des malades, et il faut dire qu’elles vont remplir ce rôle. Mais tout de suite, en mettant le pied en Afrique, Mère Javouhey qui est une éducatrice née, va dire : « Mais il ne suffit pas de soigner des malades, il y a des problèmes considérables dans ce pays : il faut éduquer », et elle va, dès l’abord, je dirais, se soucier d’éduquer des enfants, d’éduquer des jeunes et vous verrez, qu’elle est prise d’une étonnante passion pour le monde noir… Et cette éducation n’est pas superficielle, puisqu’en 1822, elle rêve déjà d’instituteurs africains, de médecins africains, de prêtres africains, de religieuses africaines ; elle va avoir une passion de promotion de l’homme africain.
On parle de Droits de l’homme, nous y sommes en plein. Mais il est bien évident que sa perspective à elle, n’est pas d’abord une perspective simplement de développement humain, c’est d’abord une perspective d’évangélisation ; elle croit de tout son être que quand on évangélise, on développe la personne humaine ; parce qu’elle a une lecture de l’évangile qui fait d’elle un véritable artisan de la promotion et on le verra, en particulier, de la promotion féminine. Alors aujourd’hui, après Pékin et autres assemblées, parler de promotion féminine peut paraître une banalité. Ca n’est pas une banalité en 1822 et en Afrique. Par conséquent je crois pouvoir dire que là, Mère Javouhey fait figure de pionnier.
Voilà un peu la manière dont elle réagit. Il faut l’entendre, il faut lui laisser la parole. Elle est donc arrivée, elle est au Sénégal et la lettre 54 est vraisemblablement de mars 1822.
Deviens ce que tu es…
Commentaire de l’évangile du XVème Dimanche du Temps ordinaire –Année B
Tous les textes d'aujourd’hui ont le thème du choix pour fil conducteur. Dieu a sur nous des ambitions bien plus hautes que celles que nous inspirent nos désirs et notre amour-propre. « Il nous a d'avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ », dit la lettre aux Éphésiens. Rien ici qui évoque la sombre vision janséniste où l'élection de quelques-uns tranche sur la masse des damnés. L'Écriture clame le contraire : tous sont choisis, tous sont secoués par la surprise, quand Dieu lance son appel aussi universel qu'inattendu. Amos a bien un métier, celui de bouvier et de cultivateur. Il ne s'est nullement fait prophète lui-même, mais il est arraché à ses bœufs par l'appel de Dieu qui en fait son porte-parole. Les Douze sont envoyés par Jésus pour guérir et prêcher, bien avant qu'ils ne s'en croient capables.
C'est un magistral retournement, par l'Écriture, de tout ce que disent les philosophies du XXe siècle. À Jean-Paul Sartre qui disait : « l'existence précède l'essence » (ce qui signifie en termes simples que nous sommes les seuls artisans de notre destin ; que ce que nous serons ne dépend que de nous), la foi répond : la bénédiction de Dieu est sur nous, qui que nous soyons, avant notre vie, pendant et après. Tous nous sommes appelés, attendus et aimés. La formule « Deviens ce que tu es » prend son plein sens chrétien : nous devons incarner ce que Dieu a rêvé pour nous. Il nous appartient d'accomplir son espérance. Vivre, c'est entendre son appel et nous mettre en route.
Car, si on consent à devenir disciple de Jésus, il s'agit de partir avec un cœur libre et disponible. Le fidèle va son chemin simplement, d'un pas léger, sans s'alourdir de manteaux supplémentaires, de précautions, de soupçons, sans autre bagage que des sandales aux pieds et un bâton. La route dont Jésus parle ici, c'est la vie. Il ne s'agit pas d'aller jusqu'au bout de la terre ou de la rue, que d'aller jusqu'au bout de soi-même.
Il faut être équipé sobrement pour enjamber sans peine les obstacles de la vie quotidienne. Et le bâton « du mendiant contre les chiens », comme dit le poète Francis James, nous permet de ne pas nous laisser engloutir dans les hostilités rencontrées en chemin. Jésus nous donne ici un art de vivre, salubre et poétique, où l'unique nécessaire nous gratifie d'une liberté intérieure qui, d'elle-même, témoigne du Royaume de Dieu. Songeons à l'impact qu'a encore aujourd'hui le témoignage d'un saint François d'Assise. Le choix pour Jésus ce n'est ni l'argent, ni la nourriture, ni les diplômes, ni les paquetages. Croire, c'est marcher sa vie, c'est renaître à l'espérance à « l'aurore de chaque matin » (Jacques Brel).
Pour réussir cette aventure, il faut être deux, il faut faire équipe, passer de la solitude à la confiance, s'aimer comme des frères remis à la garde l'un de l'autre. C'est là le mystère de l'Église.